Surnommées les Trois Grâces, Henriette, Catherine et Marie sont les filles du puissant François de Clèves, duc de Nevers et de son épouse Marguerite de Bourbon-Vendôme. Les Clèves comptent parmi les familles les plus fortunées et les plus influentes du royaume. Leur père est l’un des principaux chefs de l’armée royale sous François Ier et Henri II. Quant à leur mère, elle est la sœur aînée du roi de Navarre Antoine de Bourbon, et la tante du futur Henri IV.
Les trois sœurs, aux destins si différents, semblent pourtant avoir partagé le même tempérament exalté, la même soif de passion…
Henriette la discrète

Henriette est l’ainée des trois sœurs. Née à la Chapelle d’Angillon en 1542, elle tient son prénom de son parrain, le dauphin Henri, qui montera sur le trône cinq ans plus tard sous le nom d’Henri II. C’est une enfant intelligente qui bénéficie d’une éducation soignée. Lettrée, elle sait le latin et le grec et s’intéresse aux sciences et à l’art. Suite au décès de ses parents puis de ses deux frères, morts sans enfants, elle devient duchesse de Nevers. À vingt-deux ans, ce coup du sort en fait l’une des plus riches héritières du royaume. Attirés par son immense fortune, une foule de prétendants se presse à sa porte. Mais Henriette n’a d’yeux que pour Louis de Gonzague, un prince italien naturalisé français qui a été élevé parmi les enfants royaux à la cour de France. Brantôme dira de lui :
« Il était de son naturel fort froid et modéré, et n’étoit nullement esvanté, comme plusieurs jeunes gens de sa vollée ; c’étoit un très beau prince agréable et belle haute taille.»
Membre du conseil royal, le prince exerce une grande influence à la cour. Fervent catholique, il luttera toute sa vie contre la religion réformée. Mais il est également profondément royaliste. Quand Henri IV, protestant, monte sur le trône, il se retrouve déchiré entre sa foi et son allégeance au roi. Refusant de rejoindre la Ligue Catholique, il choisit d’abord de rester neutre, mais finira cependant par se rallier à Henri IV.
Protectrice des artistes et des savants, la belle Henriette a mené une vie discrète à l’ombre de son époux. Discrète ? Pas tant que cela si l’on en croit Sainte-Foi. Alexandre Dumas s’en est d’ailleurs abondamment inspiré pour son roman La Reine Margot. Confidente de Marguerite de Valois, Henriette aurait également été la maîtresse d’Annibal de Coconnas. Mais celui-ci est accusé de trahison et décapité en même temps que la Môle, l’amant de Marguerite. Éperdues de tristesse, les deux femmes auraient fait embaumer les têtes de leurs amants et Henriette l’aurait conservée durant plusieurs années dans son hôtel de Nevers. Dans Les Mémoires de M. le duc de Nevers, Gomberville évoque cette histoire :
« La Môle et le comte de Coconnas ayant esté descapitez, leurs testes furent secrettement enlevées. J’ai un mémoire qui parle ainsi. L’amour et la jalousie firent périr ces deux gentilshommes. Ils étaient aimés de deux princesses qui portèrent leur affection si avant, qu’après leur mort elles firent embaumer leurs testes, et chacune garda la sienne parmi les autres marques de leur amour. On pourrait deviner qui estaient ces princesses, mais ce serait une cruauté d’en avoir seulement la pensée.»

Mais Gomberville n’est pas un contemporain des Nevers. Ces « mémoires » ont été écrites près de cent ans après les faits. Alors… légende… ou réalité ?
L’insoumise Catherine de Guise

Catherine voit le jour en 1548. Elle est la filleule de la reine de France, Catherine de Médicis. Selon Brantôme, la jeune princesse est:
« l’une des plus honnestes, sages et vertueuses filles de la France.»
Mais Catherine est une beauté atypique. Surnommée « la belle négresse », elle a le teint mat et de longs cheveux noirs.
Sa mère meurt alors qu’elle n’a que onze ans. L’année suivante, son père, qui veut se remarier et ne sait trop qu’en faire, offre sa main à Antoine de Croÿ, prince de Porcien. Antoine est un chef calviniste convaincu et sous sa tutelle, la jeune Catherine embrasse à son tour la religion réformée. Mais le prince disparaît prématurément en 1567. Sur son lit de mort, il aurait fait mander son épouse, qu’il soupçonne d’avoir une liaison avec le très catholique duc de Guise. Il lui aurait fait ses dernières recommandations selon les termes suivants :
« Je ne doute pas qu’étant jeune, belle et riche, vous ne soyez remariée après ma mort. Je vous laisse le choix des partis et de tout le royaume, je n’excepte qu’un seul homme, c’est le duc de Guise. C’est l’homme que je hais le plus, et je vous demande en grâce que mon plus grand ennemi ne soit point l’héritier du plus précieux de mes biens.»
Trois années passent et la jolie veuve revient au catholicisme pour se remarier… avec le duc de Guise ! À vingt ans, Henri de Guise est l’un des meilleurs partis du royaume. Grand, athlétique, courageux, Henri fait tourner les têtes de toutes les jeunes filles de la cour. Mais il a eu l’imprudence de séduire la sœur du roi, Marguerite de Valois. Quand le roi l’apprend, il est fou de rage et veut le tuer. S’il veut rester en vie, Guise n’a d’autre choix que de se marier, et vite ! Pas question pour autant de choisir la première venue, il lui faut une jeune femme de haut lignage. Catherine est la candidate idéale. On les marie à la hâte. Le roi les félicite chaudement, tout est oublié ! Le couple aura treize enfants dont sept survivront.

Mais Catherine n’est pas une épouse exemplaire. En 1578, elle est compromise dans une affaire de galanterie avec Paul de Saint-Mégrin, l’un des favoris du roi Henri III. Qu’elle soit coupable ou non, l’honneur des Guise est entaché. Pour le racheter, ceux-ci se débarrassent du fâcheux en le faisant assassiner. Le roi est furieux. Dès lors, il n’appellera plus la duchesse de Guise que par le charmant surnom de « la maîtresse de Saint-Mégrin. »
Si le duc de Guise est vindicatif, il est aussi ambitieux. Le roi n’a pas d’enfant, et lorsque son frère cadet meurt se pose la question de la succession au trône. Selon la loi salique, la couronne revient à Henri de Navarre. Seulement voilà, Navarre est protestant, et Guise ne saurait tolérer qu’un hérétique ceigne la couronne de France. Sous son impulsion se forme la Ligue Catholique. À Paris où la Ligue est toute puissante, le duc de Guise est un véritable héros. Il est le « roi de Paris ». Le véritable roi, lui, est contraint de fuir la capitale. Il n’y reviendra jamais… Il comprend alors que Guise représente une menace bien trop grande pour son trône. À Blois, où il a réuni les états généraux, il fait assassiner le duc. Catherine ne lui pardonnera jamais ce geste. Elle devient l’une des plus ferventes partisanes de la Ligue, et quand le roi est à son tour assassiné quelques mois plus tard sous les coups de poignard du moine Jacques Clément, elle ne cache pas sa satisfaction. Elle refuse de reconnaître son successeur Henri de Navarre, désormais Henri IV, comme le nouveau roi de France. Pendant quatre ans, le royaume est divisé : d’un côté, la Ligue Catholique, qui règne en maître à Paris, de l’autre ceux qui soutiennent Henri IV. Ce dernier comprend qu’il n’a d’autre choix que de se convertir au catholicisme s’il veut un jour être véritablement roi. Après tout, « Paris vaut bien une messe. »

Henri IV converti au catholicisme, Catherine n’a plus de raison de s’opposer à lui et lui prête allégeance. Elle devient dame d’honneur de sa seconde épouse, Marie de Médicis, qu’elle sert fidèlement. Quand Marie de Médicis est exilée à Blois par son fils Louis XIII, Catherine la suit. Elle meurt en 1633, à l’âge de 85 ans.
Marie de Condé, la passionnée

Marie est la petite dernière de la fratrie. Née en 1553, elle perd sa mère alors qu’elle n’a que six ans. Son éducation est confiée à sa tante Jeanne d’Albret, reine de Navarre et mère du futur Henri IV. Jeanne d’Albret est une calviniste intransigeante, et la petite Marie grandit dans la foi protestante.

En 1572, elle accompagne sa tante à Paris afin de célébrer le mariage d’Henri de Navarre avec Marguerite de Valois. Elle qui ne connaissait que la cour austère de sa tante, elle découvre les fastes de celle des Valois. À dix-neuf ans, la fraîcheur et la beauté de Marie sont un ravissement. Elle possède un visage pur et angélique encadré par une chevelure d’or. Le frère du roi, Henri d’Anjou, qui deviendra Henri III, tombe immédiatement sous son charme. Non seulement Marie est belle, mais elle est d’un caractère aimable et doux. C’est décidé, il l’épousera ! Impatient, il s’empresse d’annoncer la nouvelle à sa mère, Catherine de Médicis. Mais à sa grande surprise, celle-ci en est horrifiée. Pour son fils préféré, celui qu’elle nomme affectueusement « mes yeux », elle nourrit des projets bien plus grands ! Pourquoi pas une union avec la reine d’Angleterre Élisabeth Ire ? Henri deviendrait roi d’Angleterre…

Qui plus est, Jeanne d’Albret rêve de voir sa nièce épouser son neveu, Henri de Bourbon, prince de Condé. Condé est petit, laid, terne. À côté du fringant duc d’Anjou, il ne fait pas le poids. Pourtant, le mariage est célébré le 10 août 1572, au grand désespoir d’Anjou. À peine quinze jours plus tard, c’est la Saint-Barthélémy. À Paris, on massacre les protestants. Condé et sa jeune épouse, en leur qualité de prince et princesse de sang, sont épargnés, mais ils doivent se convertir et se marier de nouveau selon les rites catholiques. Pour mieux les surveiller, ils sont contraints de demeurer à la cour. Marie en est enchantée. Chaque fois qu’elle le peut, elle retrouve son cher Anjou chez sa sœur, Henriette de Nevers, qui est la complice de leur amour. Mais Catherine de Médicis, si elle n’est pas parvenue à faire de son fils le roi d’Angleterre, a tout de même réussi à lui trouver une couronne. Henri sera roi de Pologne ! Les deux amants doivent se faire leurs adieux. Ils se promettent de s’écrire chaque jour. Ni le temps, ni la distance n’amenuisent leurs sentiments. Anjou pense à elle sans cesse, il lui compose des vers. Il dira :
« Je l’aime tant, vous le savez, vous devez m’avertir de sa fortune, pour la pleurer, comme je fais. Je n’en dirai plus rien, car les amours sont ivres.»
De son côté, la jolie Marie est restée à Paris avec son époux. Mais celui-ci parvient à s’enfuir et se reconvertit aussitôt au protestantisme. Marie, qui espère le retour d’Anjou, refuse de le suivre. Elle a raison d’espérer, le roi se meurt. Anjou est son héritier. Quand il apprend la mort de son frère, il s’enfuit de Pologne sans un regard derrière lui pour aller réclamer la couronne de France, mais aussi pour enfin retrouver la femme qu’il aime. Il espère obtenir du pape l’annulation de son mariage avec cet hérétique de Condé pour pouvoir l’épouser. Mais il ignore alors que Marie est enceinte et qu’une annulation devient de ce fait impossible.
Marie donne le jour à une petite fille, mais l’accouchement ne se déroule pas comme prévu. Elle meurt à seulement vingt-et-un ans.
Anjou, désormais Henri III, n’est pas encore arrivé à Paris. Après avoir parcouru la Pologne à bride abattue jusqu’à la frontière, il prend désormais son temps pour rentrer. Personne n’ose le prévenir du trépas de sa bien-aimée. Sa mère elle-même craint de l’en informer. Elle glisse discrètement une lettre lui annonçant la mort de Marie au milieu d’une liasse de papiers qu’il doit signer. Le lendemain matin, Henri, le cœur plein d’allégresse, s’assoit à sa table de travail. Il épluche les documents. Lorsqu’il tombe sur la lettre, son visage se fige. Il blêmit. Puis hurle de douleur. Fiévreux, il garde le lit pendant plusieurs jours. Rien ne l’arrache à sa douleur. Lorsque finalement il se lève, c’est pour se joindre au cortège des pénitents d’Avignon. Il fait coudre sur ses vêtements des têtes de mort en signe de deuil. À Ronsard, il lui demande un poème :
« Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque t’a tuée, et cendres tu reposes.
Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif et mort, ton corps ne soit que roses.»
Le roi affiche ouvertement sa détresse. Il n’entend ni les railleries de ses courtisans, ni les murmures inquiets de ses proches. Sa mère veut qu’il se marie. Il est le roi, il doit donner un héritier à la couronne. Mais qui choisir ? On lui présente plusieurs portraits de jeunes femmes. Quand ses yeux se posent sur celui de Louise de Lorraine-Vaudémont, il tressaute. Elle ressemble vaguement à sa bien-aimée Marie. C’est elle qu’il choisit, peu importe qu’elle soit d’un rang inférieur. Louise deviendra reine de France.

Deuxième tentative de postage de commentaire. Espérons que cette fois WordPress reconnaisse mon mail ^^
Je disais donc que je n’ai pas choisi de commencer ma lecture par cet article par hasard, tu imagines bien 😉 Et même si je n’avais pas trop de doute sur la qualité de ton écriture, je suis admirative de la capacité que tu as de rendre épique, passionnante, voire haletante la vie de ces personnages oubliés. On lit leur histoire comme un roman, et arrivé à la fin de l’article on se retrouve avec comme une sensation de trop peu ! Très belle entrée en matière, Stephane Bern n’a qu’à bien se tenir ! ^^
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