
Le 18 août 1572, le mariage de Marguerite de Valois et Henri de Navarre est célébré à la cathédrale Notre-Dame. Une union censée réconcilier catholiques et protestants. La mariée n’est autre que la sœur très catholique du roi de France Charles IX. L’époux, quant à lui, est un lointain cousin, le protestant Henri III de Navarre. Les plus grands seigneurs du royaume sont présents pour l’évènement. Ceux qui hier se combattaient trinquent désormais ensemble. Pour Catherine de Médicis, l’architecte de cette réconciliation, c’est une véritable victoire. Même si les chefs des deux factions continuent de se jauger avec méfiance, l’essentiel est qu’elle ait réussi à mettre un terme à ces guerres fratricides.
Pour Henri de Guise, cependant, l’heure n’est pas à la fête. Lui qui, il y a peu, espérait épouser Marguerite et ainsi faire partie de la famille royale, a vu tous ses espoirs s’envoler. Non content de devoir assister à ce mariage contre nature, il doit désormais composer avec son ennemi juré, le protestant Gaspard de Coligny. À seulement 21 ans, le duc Henri de Guise est le meneur de la faction catholique. Jeune homme charismatique et ambitieux, il voue une haine incommensurable aux huguenots (surnom donné aux protestants), et en particulier à l’amiral de Coligny, qu’il juge responsable de l’assassinat de son père, même si celui-ci s’en défend. Guise n’est pas de ceux qui pardonnent, et il s’est juré de faire justice quand l’occasion se présenterait. Mais pour l’heure, il n’a d’autre choix que de faire profil bas afin de ne pas déplaire au roi. C’est donc la mâchoire serrée qu’il participe aux festivités du mariage, attendant son heure avec un sourire de façade. Il sait qu’elle arrivera bientôt.
Les Parisiens, profondément catholiques, ne sont guère plus heureux que lui de voir leur jolie princesse épouser cet hérétique mal dégrossi. Sans parler de toute cette engeance huguenote qui se pavane dans les rues comme si la ville leur appartenait. Dans chaque paroisse, les prêtres catholiques attisent la haine et incitent à la révolte en jouant sur les peurs de chacun. Le peuple craint pour son salut. Tout le monde sait que le protestantisme est l’oeuvre du démon. Les rares huguenots vivant à Paris se terrent. La haine qu’ils suscitent les poussent à faire profil bas. Rarement un mariage princier n’aura attisé autant les tensions, et il suffirait d’un incident pour mettre le feu aux poudres…


Incident qui se produit le 22 août. Seulement quatre jours après le mariage, l’amiral de Coligny est victime d’un attentat. Coligny est l’un des chefs du parti protestant. Depuis son retour en grâce, il a réussi à obtenir la confiance et l’oreille du roi de France, pour le plus grand désespoir des catholiques. De caractère instable, Charles IX n’est pas le roi qui a laissé le meilleur souvenir dans l’histoire de notre pays. Monté sur le trône alors qu’il sortait tout juste de l’enfance, il n’a jamais aimé gouverner, préférant de loin la chasse à la politique. De plus, il nourrit une vive jalousie envers son frère cadet, plus beau, plus brillant et plus intelligent. Pour arranger le tout, le cadet est également le préféré de la reine mère Catherine de Médicis. À tel point qu’elle le surnomme « mes yeux ». Sans doute une des raisons qui a poussé Charles à accorder sa confiance à Coligny, l’un des seuls à le considérer réellement. Connaissant l’ascendant qu’il a sur le jeune roi, Coligny en profite pour l’influencer. Depuis plusieurs mois, il le pousse à venir en aide aux protestants des Pays-Bas espagnols qui se sont soulevés contre le puissant et très catholique roi d’Espagne Philippe II. Sa position privilégiée et sa politique extérieure lui valent bon nombre d’ennemis qui rêvent de se débarrasser de cet importun.

Ainsi donc, le 22 août, alors que Coligny quitte le Louvre pour rentrer à pied chez lui rue de Béthizy, un tir d’arquebuse retentit. C’est la panique. L’un des hommes a tout juste le temps de voir d’où provenait le tir, mais l’assassin, un certain Maurevert, s’est déjà enfui. Par miracle, Coligny, qui s’était penché au moment opportun, s’en tire avec un index arraché et une balle dans le bras. On le porte chez lui et le roi est aussitôt informé. L’incident a tôt fait de faire le tour de la ville. Les seigneurs protestants, encore nombreux dans la capitale après avoir assisté au mariage, crient leur colère. Ainsi donc on les a invités à la noce pour pouvoir les tirer comme des lapins ! Pour beaucoup, il ne fait aucun doute que le mariage n’était qu’un prétexte pour réunir tous les huguenots à Paris afin de les massacrer. La tension monte encore d’un cran. Plusieurs noms sont cités, au premier rang desquels le suspect le plus évident : Henri de Guise. Nous ignorons qui est derrière cet assassinat manqué, mais trois suspects sont montrés du doigt.

Bien sûr tout porte à croire qu’Henri de Guise ait vu là une occasion inespérée de venger le meurtre de son père, d’autant que le coup de feu a été tiré depuis la maison de son ancien précepteur. Un coupable tout trouvé. Mais Guise n’a jamais revendiqué cet acte. De plus, certains historiens pensent qu’il était trop préoccupé à revenir en grâce auprès du roi pour risquer de lui déplaire.

Alors que les seigneurs protestants se réunissent pour discuter de la marche à suivre, un nom revient fréquemment dans les conversations : Catherine de Médicis. Certains affirment même que la reine mère a planifié cela depuis des années, et que ce mariage n’était qu’un leurre pour les attirer à Paris et faire tomber les têtes des chefs. Une légende noire entretenue par Alexandre Dumas dans la Reine Margot. C’est pourtant donner une image bien sombre et sournoise à cette femme qui n’a eu de cesse d’oeuvrer pour la réconciliation entre les partis afin de ramener la paix dans le royaume. Alors qu’elle était enfin parvenue à ses fins, quel intérêt aurait-elle eu à vouloir tuer Coligny ? Certains avancent la jalousie qu’elle aurait éprouvée vis-à-vis de la complicité entre son fils et Coligny et la peur que ce dernier ne l’influence trop. Une hypothèse qui ne concorde guère avec ce qu’on sait d’elle.

Autre coupable potentiel : le duc d’Albe. C’est le gouverneur des Pays-Bas espagnols pour le compte du roi d’Espagne. Albe aurait craint que la France décide de soutenir ouvertement les protestants des Pays-Bas, comme le voulait Coligny. Il aurait donc décidé de l’éliminer. Il n’existe cependant aucune preuve l’accablant, d’autant que si l’Espagne avait participé à l’attentat, l’ambassadeur espagnol n’aurait pas manqué de l’évoquer dans sa correspondance, or nous n’en trouvons nulle mention.
L’hypothèse d’un tueur isolé pro-catholique et farouchement hostile aux protestants a elle aussi été soulevée.
Aujourd’hui encore, le doute plane quant à l’identité de l’instigateur de cet attentat. Quel qu’il soit, s’il a raté son coup, il a en revanche réussi à aggraver une situation déjà tendue entre catholiques et protestants.

Lorsque Charles IX apprend la tentative d’assassinat, il se précipite chez Coligny avec sa cour. Il s’agenouille au pied du lit du blessé et, les larmes aux yeux, lui promet de le venger. La reine mère ne dit mot. L’atmosphère est oppressante, Paris au bord de l’émeute. De ses petits yeux rusés, elle analyse tout et prend rapidement conscience de la précarité de la paix qu’elle s’est efforcée de forger. Par la fenêtre ouverte de la chambre, elle entend les cris indignés des protestants qui réclament justice. Le roi parti, certains sont d’avis de quitter la capitale au plus vite. Mais Coligny les tempère. Il fait confiance au roi.
Le lendemain, 23 août, Charles IX réunit ses plus proches conseillers. La plupart sont des hommes de confiance de Catherine de Médicis, certains, comme Gondi ou Birague, d’origine italienne. Aucun compte-rendu de ce conseil ne nous est parvenu, mais les historiens estiment que c’est à ce moment que la décision fut prise d’éliminer les chefs huguenots avant que la situation n’échappe à tout contrôle. Attaquer avant d’être attaqué. Pour convaincre le roi, on lui aurait dit que Coligny et les autres chefs protestants fomentaient un complot visant à l’éliminer. Il aurait alors prononcé cette phrase, restée célèbre dans l’histoire de France:
« Tuez les, mais tuez les tous, pour qu’il n’en reste pas un pour me le reprocher. »
Charles IX vient de donner son feu vert au massacre.

La nuit venue, les autorités de la capitale reçoivent l’ordre de fermer les portes et d’armer les Parisiens tandis que l’on confie à Guise la mission d’aller achever Coligny. Le jeune duc, trop content de pouvoir enfin venger son père, se précipite chez son ennemi. Il laisse cependant ses hommes se charger de la basse besogne pendant qu’il attend dans la rue. Ces derniers font irruption dans l’hôtel particulier et passent au fil de l’épée tous ceux s’interposant entre eux et leur proie. Coligny, entendant tout ce vacarme, comprend que son heure est proche. Certains de ses compagnons tentent de fuir par les toits. Quand les hommes de Guise rentrent dans la chambre, ils trouvent l’amiral debout près de son lit. L’un d’eux le transperce de son épée, et les autres l’imitent. Puis ils le défenestrent, et le corps tombe aux pieds de Guise qui exulte. Son père est enfin vengé !
Leur sombre méfait accompli, Guise et ses compagnons prennent la route du faubourg Saint-Germain, où la plupart des chefs huguenots se sont réfugiés, laissant le corps sans vie de Coligny à la vindicte de la populace. Prévenus à temps, certains protestants ont le temps de se cacher ou de s’enfuir. Les autres sont assassinés.

Entretemps, à Paris, la situation devient hors de contrôle. Seuls les chefs protestants devaient mourir, mais le peuple veut lui aussi participer à cette « sainte » épuration. Exaltés par une haine longtemps réprimée, les Parisiens massacrent tous ceux qui sont soupçonnés d’hérésie. Pensant protéger leur ville, ils se munissent de tout ce qui peut faire office d’arme. Hommes, femmes et enfants sont tirés de leurs lits, traînés dans les rues avant d’être sauvagement assassinés. On assiste à des scènes de viols, de mutilations. Jaloux d’un voisin qui réussit mieux en affaires que vous ? Accusez-le d’être un huguenot, voilà une bonne occasion de vous en débarrasser. Très vite, les cadavres s’empilent, les pillages se multiplient. On jette les corps dénudés dans l’eau de la Seine qui se teinte de rouge. Maximilien de Béthune, futur duc de Sully et proche conseiller d’Henri IV, avait douze ans à l’époque. Selon la légende, il aurait échappé de peu au massacre grâce à une bible qui lui aurait servie de laissez-passer.

Le Louvre n’est pas épargné. Les protestants qui y logent sont trainés dehors pour y être massacrés. Henri de Navarre et son cousin Condé sont terrifiés. Leurs proches sont occis sous leurs yeux. On prend bien garde cependant à ne pas toucher aux deux hommes. On ne tue pas des princes de sang, tout huguenots soient-ils. Par la suite, on les forcera à se convertir.
Marguerite de Valois, Margot, qui dormait, n’était au courant de rien. Dans ses mémoires, elle écrira :
« Les huguenots me tenaient suspecte parce que j’étais catholique, et les catholique parce que j’avais épousé le roi de Navarre, qui était huguenot. De sorte que personne ne m’en disait rien. »

Elle est réveillée par un homme qui frappe à sa porte en hurlant : « Navarre ! Navarre ! » Pensant qu’il s’agit là de son époux, elle lui ouvre, et découvre avec effroi un seigneur protestant en sang du nom de Léran. Il est poursuivi par des archers. Contrairement à la légende, Margot est trop abasourdie pour songer à sauver cet homme dont elle ignore s’il lui veut du mal et le laisse à ses bourreaux. On la mène chez sa sœur pour sa sécurité. En chemin, elle voit un homme se faire massacrer sous ses yeux.
Au matin du 24 août, le soleil se lève sur une scène de carnage. Le roi, dépassé, ordonne l’arrêt de la tuerie. Sans succès. Il a perdu tout contrôle. Ironie du sort, il envoie Guise protéger certains protestants importants, comme l’ambassadeur d’Angleterre. La situation est suffisamment précaire sans y ajouter le meurtre d’un diplomate de la reine Élisabeth ! L’hôtel de Guise sert lui aussi de refuge aux huguenots. En effet, la grand-mère maternelle du duc de Guise n’est autre que Renée de France, fille de Louis XII et protestante notoire. Un exemple qui montre à quel point cette période est complexe, Guise étant le chef des catholiques intransigeants, mais également le petit-fils d’une protestante qu’il protège.
Il faudra plusieurs jours pour ramener un semblant d’ordre dans la capitale. Le 26 août, le roi déclare officiellement être derrière le meurtre des chefs protestants, expliquant son geste par la nécessité de déjouer un complot qui aurait été ourdi contre sa personne.
Le massacre de la Saint-Barthélémy ne se cantonne pas à Paris. Les jours et les mois suivants, informés de ce qu’il s’est passé dans la capitale, les catholiques de plusieurs villes décident à leur tour d’éliminer les protestants. Orléans, Angers, Lyon, Bordeaux, Rouen, Valence… partout, ce sont les mêmes scènes de massacre qui se répètent, parfois encouragées par les autorités.
Il est difficile de donner un chiffre exact, mais on estime que la tuerie de Paris aurait fait près de 3000 morts, entre 5000 et 30000 dans tout le royaume.

En Europe, la nouvelle du massacre est accueillie différemment. Si au Vatican le pape est ravi, allant jusqu’à commander une fresque à Vasari pour immortaliser l’évènement, en Angleterre, la reine protestante Elisabeth prend le deuil. Le roi d’Espagne Philippe II est au contraire fou de joie.
« C’est le plus beau jour de ma vie, » aurait-il déclaré.
À la suite du massacre de la Saint-Barthélémy, Charles IX devient de plus en plus versatile et se renferme dans ses délires. Sa santé décline, et il succombe d’une pleurésie le 30 mai 1574, juste avant ses 24 ans. Il laisse le royaume à son frère cadet, qui mourra lui aussi sans enfant. Le règne des deux derniers rois Valois aura été jalonné par les conflits religieux entrecoupés de brèves périodes de paix relatives. La fin des Valois marque le début de la dynastie des Bourbons avec l’avènement d’Henri IV, un lointain cousin. Henri IV n’est autre qu’Henri de Navarre, celui-là même qui a échappé de peu au massacre de la Saint-Barthélémy. Par l’édit de Nantes, il mettra un terme aux troubles religieux qui auront mis le royaume à sang pendant près d’un demi-siècle.
« Le plus grand exemple de fanatisme est celui des bourgeois de Paris qui coururent assassiner, égorger, jeter par les fenêtres, mettre en pièces, la nuit de la Saint-Barthélémy, leurs concitoyens qui n’allaient point à la messe. »
Voltaire
Une réflexion sur “Dimanche 24 août 1572: la saint-Barthélémy, d’un mariage à un massacre”